Entretien avec le Secrétaire général de la CONFEMEN

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Entretien avec le Secrétaire général de la CONFEMEN, le Professeur Abdel Rahamane BABA-MOUSSA

« La CONFEMEN doit se donner une nouvelle identité »

En tant que nouveau Secrétaire général de la CONFEMEN, comment appréhendez-vous votre nouvelle mission dans les domaines de l’Education et de la Francophonie qui ne vous sont pas étrangers ?

C’est une mission à laquelle j’accorde une très grande importance. L’éducation est la base de tout développement, notamment le développement de l’individu au sens psychomoteur, le développement du pays au sens de l’accroissement des richesses, du développement culturel et social. L’éducation étant un élément essentiel, c’est pour moi une noble mission que d’accompagner les pays de la Francophonie à élaborer des politiques éducatives efficientes. La Francophonie est une grande famille unie par l’usage de la langue française. Notre rôle est donc double ; celui d’appuyer les enjeux et les grandes problématiques défendues par la Francophonie et celui d’assurer le développement concomitant des politiques éducatives. L’éducation doit être mise au service du développement des pays mais aussi au service de la Francophonie.

Je ne dirai pas que la mission est difficile, mais elle est complexe dans la mesure où la CONFEMEN est la plus ancienne Institution de la Francophonie née à l’époque des indépendances. Aujourd’hui le contexte n’est plus le même. Nous faisons face aux enjeux liés à l’atteinte des ODD dans un environnement marqué par la multiplication des organisations s’intéressant à l’éducation, par le rôle accru de certaines organisations internationales comme UNESCO et l’OIF, par la présence de grands opérateurs dans l’espace francophone comme l’AUF, l’Université Senghor et par la mise en place de l’IFEF dont le comité de pilotage est assuré par le président en exercice de la CONFEMEN. Il s’agit donc pour nous de pouvoir capitaliser l’ensemble des réflexions pour alimenter l’élaboration et la mise en œuvre des politiques éducatives et surtout pour conduire des grands reformes qu’exige la mise en œuvre des ODD.

Effectivement l’éducation et la Francophonie sont des secteurs qui ne me sont pas étrangers pour avoir longtemps travaillé avec des organisations francophones en tant que président d’une ONG, « l’éducation comparée francophone ». J’ai été donc au cœur de la réflexion sur les problématiques éducatives de plusieurs pays, sans compter mon expérience personnelle dans la conduite des reformes de l’éducation dans mon pays, le Bénin. Ce sont des atouts que je compte mettre à contribution pour réussir cette mission.

Quelle doit-être aujourd’hui la place de la CONFEMEN au sein de la Francophonie ?

J’ai été très sensible aux discours de Madame Louise Mushikiwabo, Secrétaire général de la Francophonie qui disait lors de la dernière réunion du Conseil permanent de la Francophonie que les institutions doivent travailler en synergie et non dans l’esprit de concurrence. C’est clair que la CONFEMEN est une institution de la Francophonie. De ce fait elle doit être forcement en lien avec les autres institutions de la francophonie. Cependant, la CONFEMEN doit définir son identité et son rôle comme étant une institution au service des ministres, c’est à dire une institution qui a pour rôle d’aider les ministres de l’éducation à fixer de bonnes orientations pour les politiques éducatives de leurs pays en accord avec les grandes orientations de la Francophonie. La CONFEMEN doit également aider les ministres à s’assurer que les orientations qu’ils se sont fixées sont effectivement mise en œuvre.

C’est autour de ces deux composantes d’appui que la CONFEMEN doit affirmer à l’avenir son identité. Cette identité trouve tout son sens à travers les deux pôles qui la constituent en tant qu’institution : le pôle politiques éducatives et le pôle évaluation. Le pôle politiques éducatives appuie la mise en œuvre des politiques éducatives et le développement de la qualité dans les systèmes éducatifs. Le pôle évaluation pour sa part vérifie et analyse les acquis des apprenants et aide les pays à mettre en place des dispositifs d’évaluation pérennes. La CONFEMEN trouve donc toute sa place aujourd’hui et encore plus dans le contexte de mise en œuvre des ODD, dans la mesure où il faut aider les ministres à opérer les bonnes reformes en anticipant les problématiques essentielles, en leur fournissant les outils de décisions, mais aussi les outils pour le suivi et l’évaluations de ces politiques.

Dans le cadre du partenariat avec les autres institutions francophones œuvrant dans le domaine de l’éducation, la CONFEMEN doit pouvoir accompagner, suivre et s’assurer que les différentes interventions dans les pays sont effectivement en accord avec les décisions prises par les ministres de l’éducation de la Francophonie, d’où toute l’importance du renforcement du partenariat que nous appelons de tout notre vœu.

Quels sont les grands défis que la CONFEMEN se doit de relever dans le cadre de son appui aux politiques éducatives des pays membres ?

Dans le cadre de la mise en œuvre de la scolarisation universelle pour tous, nous avons enregistré dans la plupart des pays un accroissement quantitatif très important. Dans les pays d’Afrique subsaharienne en particulier, beaucoup d’enfants entrent à l’école mais beaucoup n’y restent pas. Il y a encore beaucoup de déperdition. Le travail pour assurer la rétention des élèves est indispensable comme l’est aussi le travail pour prendre en charge la majorité des jeunes qui sortent du système. Ce qui nous amène à poser la question de comment accompagner les pays pour que les politiques éducatives puissent être construites dans une vision holistique qui permet à chacun de recevoir l’éducation où qu’il se trouve et que chacun puisse être accompagné pour acquérir les compétences sociales qui lui sont nécessaires pour vivre et pour participer au développement de sa nation. C’est ça le premier défi.

Le deuxième défi c’est celui de la qualité de l’offre éducative. Ceux qui restent à l’école n’ont pas toujours les acquis attendus, notamment à la sortie du primaire. Les enquête du PASEC2014 sont assez illustratif à ce sujet. Alors comment assurer la qualité de l’éducation tant en milieu scolaire que dans les autres dispositifs de l’éducation ?

Le troisième défi est celui de la modernisation des systèmes éducatifs avec l’introduction des Technologies de l’Information et de la Communication. C’est une question qui est beaucoup soulevée dans les pays, mais qui me semble encore à l’état d’effet de mode. Il est question d’utiliser le numérique, notamment les ordinateurs et les tablettes, mais pour quel contenu et pour quel type de culture professionnelle. C’est l’occasion pour nous d’établir une relation de travail avec le réseau des ministres de l’économie numérique pour asseoir une politique d’utilisation du numérique à l’école. Il s’agira d’aller vers des transformations essentielles au niveau de la culture des acteurs, à travers notamment l’enseignement assisté par le numérique ; la formation initiale et continue des enseignants avec le numérique ; le numérique pour le pilotage et la gestion des systèmes éducatifs. Ce sont là autant de voies vers lesquelles on peut s’orienter ?

Un dernier défi sans être exhaustif est la question du genre avec des efforts à multiplier pour assurer l’égalité de chance pour les filles et pour les garçons dans le domaine d’accès à une éducation de qualité et pour tous.

Ces enjeux sont transversaux et concernent aussi bien les pays du Sud que les pays du Nord. Il faudra donc avoir des actions différenciées selon la réalité de chaque groupe de pays composant la CONFEMEN. Pour le moment nos interventions sont surtout focalisées vers les pays de l’Afrique subsaharienne. Je crois que certains pays d’Europe de l’Est membres de la Francophonie, certains pays d’Afrique du Nord comme de l’Asie et même du continent américain membres de la Francophonie doivent trouver leur compte dans les actions que nous menons.

Comment comptez-vous mobiliser les moyens pour contribuer à relever ces défis dans l’espace francophone ?

Avec les ODD et par rapport aux enjeux que nous venons de citer, la CONFEMEN doit se donner une nouvelle identité. Pour cela, Il faudra une grande réforme et une réorganisation de sa structure interne pour un meilleur fonctionnement.

Le fonctionnement aussi nécessite beaucoup de moyens qui doivent être mobilisés d’abord à travers la cotisation des pays membres et une meilleure politique de recouvrement des arriérés et de fidélisation des pays dans le paiement régulier des cotisations.

Il faudra aussi diversifier les sources de financement. Nous avons l’appui de nos partenaires classiques dont l’AFD et la DDC/Suisse à qui nous exprimons encore tous nos remerciements. Mais au-delà de ces partenaires traditionnels, nous devons chercher à mobiliser d’autres opérateurs sur la base d’une bonne définition des enjeux et des projets de partenariat.